Interview de Stéphane Boisgard au micro de Marie-Luce Bozom sur Logos FM

Quelles sont vos fonctions au sein du CHU et d’Ostéobanque ?

En ce qui concerne mon activité, je suis responsable du pôle nutrition et mobilité au Centre Hospitalier Universitaire de Clermont-Ferrand qui englobe toutes les pathologies de l’appareil locomoteur et toutes les pathologies de la nutrition, de manière à prendre en charge, dans leur globalité, les problèmes de la mobilité qui sont également liés avec les problèmes de nutrition. Vous savez qu’un moteur, sans essence, ne marche pas très bien ! Pour les humains que nous sommes, la nutrition est un élément extrêmement important pour la mobilité. J’ai donc une vision un peu globale, avec le prisme d’une particularité : je suis chirurgien orthopédiste. Je remplace les articulations et répare les fractures. C’est aussi ce qui explique l’investissement que l’ensemble du service orthopédique a, dans les banques de tissus, depuis des années. Ce sont des banques qui permettent aux patients ayant besoin de greffes d’obtenir ces greffes, qu’il s’agisse d’os, de ménisques ou de ligaments. C’est à partir de ce moment-là, en ayant constaté les difficultés à se procurer les greffes, que nous avons développé, pour la première fois en France, quelque chose d’un petit peu unique : une association de chirurgiens, tous bénévoles. Cette association permet de procurer à tout patient qui en a besoin, à partir, exclusivement, de la demande d’un chirurgien, des greffes pour remplacer un ligament, un ménisque ou un os. L’origine des besoins est multiple. On peut avoir besoin d’un os parce qu’après une fracture on a perdu une partie de cet os. On peut avoir besoin d’un os parce que, lors d’une infection, il a fallu retirer l’os. On peut avoir besoin d’un os, également, parce qu’on a un cancer et que l’on retire cette partie cancéreuse. Donc nous avons, depuis 25 ans, développé cette association. Désormais, l’Auvergne est leader en France et fournit 80% de ces greffes au plan national.

Le don d’organes est plutôt bien connu, mais le don de tissus l’est-il autant ? Et chacun peut-il donner ?

Bien sûr, chacun peut donner. Beaucoup de gens se posent la question de savoir « pourquoi les tissus » ? On sait très bien à quoi sert un rein, à quoi sert un cœur, à quoi sert un foie. Tout ça semble évident. Mais, pour les tissus, cela ne parait pas aussi essentiel. Un rein, un cœur, un foie, cela a une dimension vitale. Pourtant, il faut bien comprendre que ces greffes de tissus sont tout aussi fondamentales parce qu’elles amènent de la fonction et, sans fonction, il n’y a pas de vie. Comme vous pouvez donner votre cœur, vous pouvez donner vos tissus. Dans 30% des cas, lorsqu’il y a un prélèvement possible, il y a une opposition de donner, non pas par véritable refus mais parce que l’entourage ne sait pas ce que vous avez dit. C’est pour cela qu’il faut passer un message extrêmement fort ; il faut en parler à son entourage. Dites si vous êtes pour ou si vous êtes contre, mais parlez-en avec vos proches bien en amont. Lors d’un décès, la question sera posée de savoir quelles étaient vos volontés et si vous souhaitiez faire ou non ce don. Souvent, la famille ne le sait pas. Alors, j’insiste, vous pouvez être pour, ou contre, mais dites-le. Cela fera gagner du temps et pourra augmenter ce nombre de greffes nécessaires.

Vous évoquez cette notion de bénévolat impulsé sur l’Auvergne, pour faire connaitre cette technique auprès d’autres chirurgiens. Il y a une vraie dimension pédagogique dans cette démarche.

Il y a une dimension pédagogique, mais aussi une dimension de réseau. En France, maintenant, nous sommes un certain nombre de chirurgiens à être engagés dans ce réseau et à participer à cette récupération de greffes. Nous avons aussi mis en place quelque chose d’assez original, au travers d’une équipe mobile qui se déplace en région Auvergne-Rhône-Alpes. Sur le plan national, c’est un réseau maillant tout le territoire national, composé d’infirmières coordinatrices, d’équipes de blocs, dans lequel toutes et tous sont fortement impliqués. Cela a eu comme effet vertueux, au fil des ans, d’avoir augmenté significativement les capacités de greffes et son corollaire : la prise en charge des patients.

On pourrait se dire que cette implication occupe largement vos semaines. Pourtant, vous avez également accepté de vous engager au sein d’ASM VITALITÉ. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est ASM Vitalité avant de nous expliquer votre fonction ?

ASM Vitalité est une idée extrêmement originale, portée par l’ASM Omnisports, qui visait à dire : « quand on a un public de personnes sédentaires, il y a un intérêt fort à faire une activité physique ». On sait très bien que l’activité physique améliore l’état de santé, diminue les risques cardiovasculaires, le diabète, et apporte une meilleure qualité de vie. Tout a démarré par une idée extrêmement simple : à l’ASM, il se pratique du sport, notamment du sport de haut niveau. On connait l’ASM rugby, mais il y a toutes les autres spécialités avec une majorité pratiquant au niveau national dans tous les sports. L’idée était de dire que, au sein d’ASM Vitalité, on ne va pas forcément parler de sport, mais, plutôt, d’activité physique. Il a été posé le constat, en commençant par l’entreprise Michelin, que beaucoup de personnes ne pratiquaient pas d’activité physique. L’idée est ici de donner la capacité à amener cette activité physique au plus près du lieu de travail car, de nos jours, les collaborateurs travaillent beaucoup, ont des déplacements, une gestion familiale et, de ce fait, peu de temps pour pratiquer une activité. Des dizaines d’entreprises participent désormais à ce programme, … y compris au CHU 😊. Les salariés, avant ou après leur prise de poste, peuvent bénéficier d’un accompagnement, encadré par des éducateurs sportifs, diplômés et tout à fait compétents. L’activité physique peut améliorer grandement la situation, pour tous. Un exemple très simple ? Il y a 20 ans, aux États-Unis, on s’est aperçu que marcher 15 min par jour, par rapport au fait de ne pas marcher, avait un impact considérable, que ce soit physique ou psychologique. Cela prévient un certain nombre de pathologies qui peuvent altérer la qualité de vie.

ASM Vitalité, ce n’est pas seulement avoir mis une salle de sport au sein du CHU. Quels sont l’accompagnement et l’encadrement mis en place ?

Ce qu’il faut savoir c’est que c’est un label. L’entreprise met à disposition des locaux, en coordination avec l’équipe d’ASM Vitalité. Ce sont ensuite les coachs d’ASM Vitalité qui prennent en charge toute l’activité physique. C’est quelque chose qui est très professionnel et parfaitement coordonné.

Il y a cette dimension autour du monde salarial, mais il ne faut pas oublier l’impact lié au vieillissement. Comment est-ce analysé ?

Nous faisons passer des tests aux personnes qui participent au programme ASM Vitalité. Il en découle un constat très net de l’amélioration de la situation. C’est vrai pour les personnes jeunes, mais c’est d’autant plus vrai pour les personnes plus âgées. Il faut savoir que l’on grandit jusqu’à 21 ans….. et que l’on commence à vieillir à partir de 21 ans !! Les choses commencent à s’altérer. S’il n’est pas possible de l’éviter, il est possible de freiner ce processus, entre autres en maintenant une activité physique. Il y a deux choses essentielles pour améliorer sa qualité de vie : continuer de se déplacer et continuer de se nourrir correctement. S’il vous manque l’un ou l’autre, alors, automatiquement, vous allez diminuer en qualité de vie et en performance.

Cette notion d’activité est aussi liée à une notion que l’on voit beaucoup émerger : la notion de lien social qui se tisse durant ces moments.

Oui, c’est quelque chose qui est extrêmement intéressant. On a toujours parlé de la machine à café. On sait aujourd’hui que, quand on supprime la machine à café, on a peut-être plus de temps de travail, mais moins de performance. Nous sommes des individus connectés, grégaires. L’important est de pouvoir, en plus de nos activités professionnelles, générer du lien. Parfois, avoir du lien avec ceux avec qui l’on travaille est compliqué. Il est donc important de proposer autre chose, quand même proche du travail, mais qui s’inscrit dans le domaine du loisir et est librement choisi. Cette activité, en termes de lien auprès des équipes, est extrêmement importante.

Comment continuez-vous à faire progresser ASM Vitalité ?

Mon activité au sein d’ASM Vitalité est surtout de coordonner le conseil scientifique pour améliorer en permanence la situation et être en capacité d’évaluer, d’innover et d’avoir une réflexion plus scientifique sur les outils utilisés pour améliorer l’activité sportive. On nous a demandé, au niveau du CHU où nous sommes en relation très étroite avec l’ASM Omnisport, de mettre en place un conseil scientifique pour évaluer les parcours par l’intermédiaire du pôle nutrition et mobilité.

Quelles sont les grandes étapes qui vous ont marqué sur ces 15 dernières années ?

Ce qui m’a marqué au départ, c’est l’adhésion spontanée de 2000 collaborateurs de l’entreprise Michelin à ASM vitalité, Quand je suis arrivé à ce poste, on m’a demandé d’en analyser les raisons avec les professeurs Duclot et Boirie. Nous avons été impressionnés par le nombre de participants. Le fait que l’activité physique soit bénéfique nous paraissait une telle évidence que l’on ne comprenait pas pourquoi il fallait le redire. Mais l’essentiel ce n’est pas de dire ; c’est de faire. À l’heure actuelle, ce sont plus de 80 % des personnes inscrites à ASM Vitalité qui reviennent l’année d’après. C’est par l’action que nous pourrons améliorer la situation.

Cette notion de partage, viscérale pour vous, on la retrouve aussi au sein du Conseil National Professionnel, section chirurgie orthopédie, dont vous êtes Président.

Oui, tout à fait, bien que j’aie récemment terminé mes fonctions. On ne peut pas ne pas s’engager si on veut que les choses avancent. Nous avons de la chance, nous, les médecins, de faire un métier merveilleux. Et, en tant qu’universitaires, il nous est possible de pratiquer, d’enseigner, de faire évoluer la profession par cette opportunité d’échanger, de participer à la réflexion commune. Quand vous discutez et analysez des problématiques, et que vous avez des arguments pertinents, vous faites évoluer les choses. Pour moi, ces deux ans ont été deux ans de discussions, de progressions et de concrétisations de dossiers.

Nous avons ici, sur l’Auvergne, des expertises fantastiques. Et vous avez, au sein du CHU de Clermont-Ferrand, accompagné de grands sportifs. Quelles sont les nouvelles techniques que vous avez pu développer, les évolutions que vous avez pu remarquer ?

Oui, on s’aperçoit depuis une dizaine d’années, entre autres grâce à la spécificité présente au CHU et cette proximité avec la banque de tissus, de l’évolution du traitement des traumatismes multi ligamentaires. Pour ceux qui, par exemple, ont fait des chutes à ski, il y a ce type de traumatisme. Nous savons très bien réparer 1 ligament ; 2, cela commence à être plus compliqué ; à partir de 3 ligaments rompus, il vaut mieux réaliser une greffe. Il existe une espèce de fantasme quant au sportif de haut niveau. Pourtant, tout un chacun, que ce soit un agriculteur ou une autre personne qui a le même type de traumatisme, sera soigné de la même manière. Cette technique est mise en place pour tous les traumatismes et elle bénéficie à tous, comme c’est le cas pour les entorses graves du genou qui, à 95%, touchent monsieur ou madame tout le monde. L’opération va permettre d’avoir un genou stable, de retrouver une activité et c’est une innovation majeure.

Quelles sont les collaborations internationales autour de ces évolutions ?

Aujourd’hui, c’est encore un microcosme qui s’intéresse aux greffes en Europe, essentiellement des orthopédistes. Ostéobanque a des relations étroites avec Barcelone, modèle en termes de banques de tissus en Europe. Mon collègue, le Professeur Erivan, y a passé 6 mois. Le Docteur Villatte, pour sa part, a travaillé sur ce sujet en Angleterre, plus spécifiquement au niveau de l’épaule. Tout ceci est sous-tendu par la recherche, dans une équipe labellisée dirigée par le Professeur Stéphane Descamps qui est chirurgien orthopédiste dans notre service et le Professeur Jean-Marie Nedellec, enseignant chercheur SIGMA. Cette équipe de recherche, adossée au CNRS, au sein de l’université, est centrée sur l’évolution des allogreffes, leur préparation, leur traitement, afin qu’elles soient plus efficientes et mieux tolérées. Il y a tout cet environnement technique et de recherche afin d’aller toujours vers l’avant, de progresser, de fournir les meilleures greffes pour traiter les patients dans les meilleures conditions.

Est-ce qu’il y a des échanges entre pays ?

Bien sûr, il y a déjà des échanges tout autant d’ordre intellectuel que des projets de recherche. Par exemple, quant à l’utilisation d’antibiotiques avec les greffes lors d’opération de patients ayant des infections. Il y a d’autant plus d’échanges, que, comme pour les organes, il peut y avoir besoin de tel ou tel type de greffe, non disponible. Il nous arrive de mettre à disposition des greffes suite à des demandes provenant de Belgique, d’Espagne, ou que nous recevions, de ces mêmes pays, les greffons dont nous avons besoin.

Qu’est-ce qui continue à vous porter, Professeur Boisgard ?

On ne peut pas se lasser de faire progresser les choses, les techniques chirurgicales, la connaissance, les organisations. On ne peut pas se lasser, car il y a toujours quelque chose à faire, toujours une nouvelle découverte, toujours un nouvel objectif, l’envie d’aller plus loin, de faire mieux, de faire différemment. C’est passionnant.

Pour retrouver l’interview en intégralité : https://www.youtube.com/watch?v=f-ZwAQRT21A

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